À ceux, beaucoup plus nombreux et aussi peu courageux qui, sans m’avoir jamais rencontré, sans avoir jamais rien lu de ce que j’ai écrit, sans avoir jamais assisté à l’un de mes cours ou conférence, se répandent dans les cabinets ministériels, les salons parisiens et les médias pour exiger qu’on m’interdise toute apparition publique, toute expression radiophonique, télévisuelle ou éditoriale au prétexte que je serais un infréquentable réactionnaire islamophobe partisan des dictateurs et de « l’ancien monde » il me paraît nécessaire d’apporter les éclaircissements suivants :
1- Ce n’est pas parce qu’on se rebelle contre un autocrate ou un régime oppressif qu’on est nécessairement un démocrate respectueux de la liberté et des droits de l’homme. De Lénine à Khomeyni en passant par Castro, Boumedienne, Mugabe ou Pol Pot, les exemples abondent dans l’histoire contemporaine.
2 - Ce n’est pas parce qu’on s’interroge sur les objectifs, les moyens et les méthodes d’une rébellion contre un dictateur qu’on est partisan du dictateur.
3 -Enfin, ce n’est pas parce qu’éventuellement on analyse et on critique ces moyens et ces méthodes qu’on est un vilain fasciste.
En effet, je me suis fait traiter de fasciste parce que je ne partage pas le discours parisien dominant sur le problème des transitions du monde arabe et que j’ai eu l’imprudence d’affirmer en 2011 que ce n’est pas en plantant la tête de Kadhafi et de Bachar el-Assad au bout d’une pique qu’on instaurerait la démocratie, la liberté et le respect des droits de l'homme dans leurs pays respectifs.
Un plumitif d’un grand hebdo national m’a décrit alors comme l’un des chefs de (je cite) « la légion brune de Bachar el-Assad en France »…. Pas moins.
Ce n’est pas que ce soit faux qui me gêne. J’ai l’habitude. En 2002 j’étais selon Le Monde un sous marin du jospinisme chargé de déstabiliser le Président Chirac. En 2004, j’avais un compte chez Clearstream. En 2005, j’étais mis en cause en Italie pour complicité de dissimulation d’armes de destruction massive, en 2009, j’étais selon Marianne un visiteur du soir de Claude Guéant, en 2013 Jeune Afrique me présentait comme un proche collaborateur de Laurent Fabius…
Surtout, ces injures et oukases témoignent de l’ignorance pyramidale de leurs auteurs sur le sujet. Il y a vingt cinq ans, j’ai été le premier en France à essayer de prolonger les travaux de Michel Seurat sur ce qu’il appelait « l’Etat de barbarie ». Dans un très long article publié par la Documentation française (figurant sur ce site), j’ai décrit en détail les méthodes et les mécanismes par lesquels Hafez el-Assad s’était approprié entre 1970 et 1990 – par la duplicité et la violence - l’ensemble de l’appareil d’État syrien au profit de sa famille et de sa communauté. Ce texte reste encore aujourd’hui - en France comme à l’étranger - l’une des premières références universitaires sur le sujet.
Il y a en France trop peu d'experts des questions proche orientales. Gilles Kepel s'en désole à juste raison. Fabrice Balanche, éminent géographe spécialiste du Levant, professeur à l’Université de Lyon II a depuis repris le flambeau avec talent. Cela ne lui a pas porté chance. Parvenu à des conclusions similaires aux miennes il s’est vu progressivement interdit de parole un peu partout avant que l’Université ne lui supprime sa chaire sous un prétexte tellement fumeux que la justice administrative a ordonné sa réintégration deux ans plus tard. Deux années qu’il passées aux États-Unis, au Washington Institute qui avait repéré ses qualités d’information et d’analyse et les a mises à profit. Malgré cela, sa parole publique continue d'être ostracisée, comme l'avait été en son temps celle du regretté Antoine Sfeir, banni brutalement des medias pour les mêmes raisons. Fabrice Balanche entretient aujourd'hui un compte Facebook qui mérite d'être suivi avec attention.
Mon premier séjour dans le monde arabe date de1966. Hafez el Assad n'avait pas encore pris le pouvoir en Syrie ni Kadhafi en Libye. J'ai suivi les soubresauts de cette zone toute ma vie et je suis bien placé pour savoir que le régime syrien est un pouvoir autoritaire, brutal et fermé. Il correspond à l'impérieuse nécessité de la communauté alaouite du pays qui le contrôle depuis 1970 de se pémunir contre la fatwa d'Ibn Taymiyya, fondateur au XIVe siècle du courant salafo-wahhabite, qui condamne cette minorité au génocide, qui a justifié son oppression pendant six siècles et qui n'a jamais été désavouée par les puissances sunnites. Nos élites politiques et intellectuelles se font un devoir de donner à la terre entière des leçons de démocratie, de bonne gouvernance et de respect des droits de l'homme. Ce serait respectable si cela impliquait aussi le respect du droit des minorités non arabes ou non musulmanes ( Juifs, Chrétiens, Druzes, Ismaéliens, Alaouites, Yézidis, Kurdes, etc.) à vivre dans la paix et la dignité en terre d'Islam et cela leur éviterait peut être de recourir à la violence pour tenter d'assurer ce droit.